Château la Tour de l'évêque

BIG – Carte sur table

  • by: pierrot
  • 25 septembre 2020

Pierre Psaltis – Été 2020

Carte sur table : Régine Sumeire

Le vin rosé a conquis le monde parce qu’il a changé de couleur. Sous la houlette de Régine Sumeire, et de ses cuvées Pétale de Rose, le rosé s’est libéré des codes empesés. Sans jamais sacrifier la qualité, il a séduit de nouvelles générations d’amateurs parmi lesquelles beaucoup de femmes, attirées non plus par des robes soutenues mais, au contraire, par des couleurs évanescentes. À la tête des châteaux la Tour de l’Evêque et Barbeyrolles, elle est devenue le porte-étendard d’une gastronomie conviviale. Conquérante et respectueuse des rythmes d’une Nature qu’elle a élevée au grade suprême, Madame de Barbeyrolles est dépositaire d’une tradition familiale. À charge pour elle d’apporter sa pierre à l’édifice et de transmettre son engagement pour le vin et la Provence.

Régine Sumeire cultive la sagesse et l’évidence comme des preuves de bon goût. Avec son fameux « Pétale de Rose », cette provençale de souche a bouleversé l’univers des vins rosés les invitant à quitter le temps de l’apéritif, pour passer à table. La vie de Régine Sumeire se partage entre les 75 hectares du Château la Tour de l’Evêque, sur les contreforts des collines des Maurettes, et les 12 hectares de Château Barbeyrolles, magnifique maison de maître cossue, au pied de Gassin.

« J’ai acheté cette propriété en 1977, raconte Régine Sumeire. Après de multiples visites un peu partout dans la région, j’ai eu un véritable coup de cœur pour Barbeyrolles qui était en total ruine », se remémore, en guise de préambule, la viticultrice dont les châteaux sont devenus des places fortes du rosé en Provence. En quelques minutes, Régine Sumeire a pressenti ce que la maison et les vignes deviendraient à force de travail. Une vision qui s’avère conforme aux prémonitions, 43 années plus tard.

En hôte soucieuse du bonheur de ses visiteurs, Régine Sumeire fait le tour du propriétaire, pointant du doigt le vignoble « entretenu selon les principes de biodynamie depuis 2009. Chez nous, on a toujours travaillé avec la nature c’est une tradition, c’est une évidence. À l’époque, il n’existait rien d’autre que le travail en bio » rappelle cette fille et petite-fille de vignerons, diplômée de sciences politiques, d’espagnol et d’histoire. Renouant avec les gestes anciens, la vendange est manuelle, « c’est essentiel dans l’élaboration des vins rosés et blanc qui sont pressés par grappes entière » assure-t-elle.

« Le vin est une preuve de civilisation, assène Régine Sumeire. Dans l’Antiquité, les Grecs et les Egyptiens produisaient déjà des vins sans macérations, ce ne pouvais être que des rosés. A la fin du XXème siècle, les Espagnols, les Italiens et les Grecs encore ont fait adopter l’idée du vin comme un principe de civilisation. Et nous, dans le même temps, nous votions la loi Evin », tonne-t-elle sans se départir de son calme.

De son propre aveu, Régine Sumeire aime les rosés vineux, « des vins délicats, avec de la longueur en bouche, susceptibles d’accompagner un repas. J’aime l’idée que, dégusté à l’aveugle, un rosé se distingue difficilement d’un blanc ». Très peu portée sur « les arômes », Régine Sumeire insiste pour que les vins ressentent et racontent leur terroir. Son Rosé Pétale de Rose, esquissé dès 1982, avance une belle robe claire et a « longtemps souffert d’un délit de sale gueule, mais c’est du passé tout ça. La couleur doit être extraite sans brusquerie ni traitement ».

La clientèle très fidèle de Barbeyrolles a découvert ses vins lors de vacances en Provence, retrouvant ses émotions de soleil chaud et de ciel bleu dans les restaurants raffinées de France et du monde, une fois les vacances achevées. Des Antilles à l’Amérique, de la Chine à la Thaïlande en passant par le Japon et la Malaisie, la bannière Sumeire claque au vent sur toute la surface du globe. « Je suis fière que nos vins aient acquis leurs lettres de noblesse, lâche la Dame de Barbeyrolles. Nous avons figuré parmi les douze premiers vignobles qui, en 1987, ont participé à la route des rosés avec mon ami Patrice de Colmont. Nous avions mis en cale tous nos vins pour une traversée reliant Saint-Tropez à Saint-Barth… Nous étions des vignerons qui se passionnaient pour le bateau et nous partions porter la bonne parole sur un autre continent »…

Si le rosé représente environ 80% des volumes, Régine Sumeire « essaie » de rétablir l’équilibre en revenant aux rouges et aux blancs, « parce que la Provence est une terre des trois couleurs, sourit-elle. Etonnant pour une icône du rosé ? Elle balaie l’assertion d’un revers de main : « Le vin, ce n’est pas une tirelire mais l’expression d’un terroir et d’une histoire. Et la Provence peut s’enorgueillir de magnifiques terroirs capables de faire naitre de grands vins quelle que soit leur couleur ».

Si elle défend la liberté pour chacun d’apprécier ses vins « comme bon lui semble », Régine Sumeire est catégorique : pas de glaçon dans le vin et une température de service de 13-14°C pour en magnifier les qualités. « Je conseille d’associer les poissons de Méditerranée aux rosés et blancs. Une lotte pochée court-bouillon servie en salade, un poisson fenouil cuit au four, des gambas à la planchas, un soufflé au jus corsé de crustacés… Tour ceci convient très bien aux rosés de Barbeyrolles. C’est également très pertinent avec une viande de veau ou des ris de veau meurette » poursuit cette épicurienne patentée qui se repaît des grandes tablées, défend la convivialité née de la confrontation des dégustations. Se partagent entre ses deux maison, la Tour de l’Evêque à Pierrefeu-du-Var, où officie son neveu Pierre-François, et Barbeyrolles à quelques encablures des plages de Pampelonne, Régine Sumeire confesse vivre un métier de passion : « Je vinifie, je mets en bouteille, je vis chaque étape intensément… sauf la paperasse et l’administratif qui me cassent un peu les pieds, reconnait-elle avec malice. L’observation de la vigne, qui pousse, la maturité des raisins, la vendange, les évolutions à la dégustation des jus… Ce sont des plaisirs différents mais intenses tout au long de l’année ».

Reconnaissant qu’un vigneron doit savoir vinifier en trois couleurs, Régine Sumeire s’ »lève contre l’idée reçue selon laquelle une couleur serait plus difficile à travailler, « toutes les élaborations sont minutieuse et délicates » martèle-t-elle.

Evoquant ses aïeux vignerons, la propriétaire de château Barbeyrolles parle non sans émotion de son père : « La viticulture, ça se transmet, c’est une affaire de passion… Au soir de sa vie, il m’a dit qu’il avait appris le métier en travaillant avec son père comme il l’avait voulu et fait avec moi… Seule la passion se transmet » souffle-t-elle alors que le soleil rougeoie à l’horizon.

De retour au chai, argumentant sur les qualités de tout bon vigneron, « Madame de Barbeyrolles » insiste sur le rapport au temps et le nécessaire sens de l’observation doublé d’une indispensable humilité : « L’observation, c’est la clef de tout. Nous devons observer la nature, respecter ses cycles sans jamais la brutaliser, assène celle qui se reconnait volontiers maniaque et exigeante. Etre pressé ou ne pas reconnaitre ses erreurs sont de graves défauts. Nous travaillons sur le long terme, nous travaillons pour les générations futures. Vous voyez, ces vieilles vignes ont été plantées par des hommes qui savaient qu’aujourd’hui, elles offriraient un potentiel qualitatif énorme des arômes profonds ». Ne pas replanter tout de suite après avoir arraché les vieux ceps, se donner le temps d’attendre parfois jusqu’à 7 ans, voilà quelques-uns des enseignements de cette école de la patience pour laquelle milite Régine Sumeire.

Cet été, le rosé 2019 se distinguera par sa belle minéralité et son étonnante longueur en bouche : « Nos vins sont construits et précis, voilà pourquoi je conseille de les boire à 13-14°C, poursuit la vigneronne toujours aussi sensible à la question des « rosé piscine ». D’un avis unanime dans le petit monde feutré des amateurs de grands vins, le travail de Régine Sumeire et son approche du vin rosé « Pétale de Rose » ont considérablement modernisé la perception du vin. La pâleur et la clarté lui ont conféré des valeurs féminines, une épreuve et une franchise qui ont libéré le vin des codes ancestraux, virils et sombre qui commençaient à lui peser. De grande  finesse et d’une qualité irréprochable, les vins de Régine Sumeire ne sont pas intimidants et encore moins réservés à une élite de connaisseurs. Grâce à cette dame, tout le monde peut apprécier un rosé sans l’onction sacrée d’un « expert ». Seul les plaisirs élégants et raffinés comptent.