Château la Tour de l'évêque

Var Matin

  • by: pierrot
  • 4 juillet 2023

Une véritable déflagration pour les rosés de Provence, dont la suprématie sur les marchés mondiaux se trouve écornée par cette confrontation inédite.

Le rosé de Miraval, propriété de Brad Pitt à Correns dans le Var, classé 11e ex æquo avec la cuvée Carrelet confidence 2022 de Tutiac… une coopérative de Bordeaux, dans le Sud-Ouest.

À 7,30 euros la bouteille, la plus grande cave coop de France coiffe au poteau le rosé de la superstar américaine, commercialisé à 16 euros.

Loin devant Whispering Angel du château d’Esclans, vin français le plus vendu aux États-Unis, ou l’iconique rosé M de Minuty, deux propriétés de Provence détenues par le groupe de luxe LVMH.

À 18,33 euros et 14,80 euros la bouteille, ces deux Côtes de Provence rosés sont classés en 17e et 18e positions dans le palmarès publié, jeudi, sur le site Larvf.com, et qu’on peut lire sous l’intitulé « Match Bordeaux/Provence: la dégustation qui bouleverse l’ordre établi ».

Une confrontation inédite

Une véritable déflagration pour les rosés de Provence, dont la suprématie sur les marchés mondiaux se trouve écornée par cette confrontation inédite. « La Provence est-elle imbattable sur son propre terrain? »

C’est ce qu’ont souhaité savoir les experts de la Revue du Vin de France (RVF), lors d’une grande dégustation à l’aveugle organisée aux caves Legrand, à Paris: pour ce match, 28 bouteilles étaient en compétition, 12 d’entre elles étaient des bordeaux rosés et 16 venaient de Provence pour une fourchette de prix de 5,11 euros à 22 euros.

Stupeur chez les dégustateurs

« On pensait que le match était plié d’avance, que les rosés de Provence allaient démonter les Bordeaux. À la surprise générale, ça a été l’effet inverse », commente Jérôme Baudouin, rédacteur en chef de la RVF, qui a participé à la dégustation.

Bonne nouvelle toutefois, d’emblématiques vignerons défendent leur position dans le palmarès: le domaine de l’Île (Chanel) à Porquerolles, en tête du classement ex æquo avec le Pétale de rose de la vigneronne Régine Sumeire (château de La Tour de l’Évêque), ou le rosé du domaine Terrebrune à Bandol (4e), ex æquo avec la coopérative de Tutiac.

« Ils font partie des beaux rosés de gastronomie, faits par des vignerons qui ont su valoriser leurs terroirs et donner une dimension identitaire à leurs vins, mais la majorité des rosés de Provence sont des vins industriels purement marquetés, au goût standardisé, qui ne sont pas à la hauteur de leur packaging », déplore Jérôme Baudouin.

Une analyse partagée par les quatre autres experts réunis aux caves Legrand, qui ont eu du mal à différencier les côtes-de-provence des bordeaux, et qui ont systématiquement proposé des prix bien au-dessus de ceux pratiqués par les vignerons. Leurs commentaires de dégustation n’arrondissent pas les angles.

À propos du M rosé de Minuty: un rosé à l’acidité mordante, court et jugé « industriel » note Olivier Poels, membre du comité de dégustation de la RVF.

Le Whispering Angel? « Un rosé comme il en existe des centaines en Provence, manque de personnalité », toujours selon la même source.

Vins de masse

« Cette dégustation, c’est le coup de pied de l’âne à la Provence, qui a mis en place une stratégie de marques telle qu’elle en a perdu son identité au profit de vins de masse, facilement reproductibles car il s’agit de vins techniques, duplicables par des industriels bordelais qui proposent des prix bien plus compétitifs que la Provence », analyse Jérôme Baudouin.

Pour cet expert, ce palmarès questionne le modèle provençal dominant, porté par les marques du luxe abordable, face aux vignerons traditionnels un peu en retrait.

Le rosé piscine dans le collimateur

Mais le match ne sera pas forcément perdant, ni pour les vignerons, ni pour les investisseurs: « La Provence a une carte à jouer qui est superbe grâce à ses terroirs et au talent de ses vignerons, mais attention au revers de bâton du rosé standardisé encore construit sur le modèle du vin de fête, du vin de plage pas trop sérieux, à boire avec des glaçons. Ce modèle pourrait demain être challengé par les Italiens, les Espagnols ou les vins californiens, avec des politiques de marque beaucoup plus affirmées. »

Les coulisses de la dégustation

Pour ce match rosés de Provence/Bordeaux, 28 bouteilles ont été achetées, principalement dans le e-commerce, 12 d’entre elles étaient des bordeaux rosés et 16 venaient de Provence pour une fourchette de prix de 5,11 euros à 22 euros.

Pour éviter tout parti pris, toutes les bouteilles étaient masquées, les cuvées aux formes originales, notamment en Provence, ont été transvasées dans des bouteilles de Bordeaux.

Cinq dégustateurs ont participé à la dégustation à l’aveugle, aux caves Legrand, à Paris: David Biraud, chef-sommelier du Mandarin Oriental (qui officie à côté de Thierry Marx) et les membres du comité de dégustation de la Revue du Vin de France: Jérôme Baudouin, Olivier Poels, Karine Valentin et le sommelier Pierre Villa Paleja, propriétaire du restaurant Le Petit Sommelier à Montparnasse.

Chaque dégustateur devait estimer un prix de vente public et positionner le vin dans la bonne région: Bordeaux ou Provence.